Edouard, un des plus anciens antiquaires de la bourgade, se réveille ce matin avec une drôle d’impression, comme si sa vie allait changer aujourd’hui. L’objet spécial et insolite qu’il convoite depuis si longtemps allait enfin franchir la porte de son échoppe.

Accompagné de son chat, « Monsieur Poilu », il descend dans son magasin et lève son vieux rideau métallique, puis il retourne sa pancarte défraichie signifiant que la porte était maintenant ouverte. Comme à son habitude Edouard caresse de sa main fripée son vieux comptoir en bois sombre avant de passer le plumeau sur toutes ses breloques chinés par ci et là. La journée se déroule comme à l’ordinaire, quelques clients défilent en recherche de chaises genre Formica vintage ou encore de vieux téléphones à cadran.

Edouard arbore un visage las le soir venu. « Cette journée devait pourtant s‘annoncer spéciale, mais rien! » ressassait inlassablement son mental.

Il ferme avec résignation son tiroir caisse à double tour quand soudain la vieille cloche assourdissante, qui signifie l’ouverture de la porte de sa petite échoppe, retentit. Arrive un grand bonhomme au pantalon à pince rayé noir et blanc et à la chemise blanche ajustée d’un petit veston rayé. Coiffé d’un magnifique chapeau haut de forme et chaussé de  soulier vernis il s’avance nonchalamment vers le comptoir de vente.

« Bonjour mon bon monsieur » interpelle l’individu sur un ton on ne peut plus courtois.

« Bonjour à vous, que puis je faire pour vous venir en aide? » répondit poliment Edouard en bon commerçant.

« Voilà cher ami, j’aimerai me séparer d’un objet qui ne m’est plus d’une grande utilité à présent » annonce l’élégant visiteur devant le regard interrogatif d’Edouard. 

Ce dernier lui propose d’examiner l’objet avant d’entamer toute négociation. 

Le gentleman extrait de la poche de son veston un petit étui en cuir vieilli et le pose sur le comptoir. Il délace délicatement l’écrin pour en sortir une petite montre à gousset ternie par le temps avec sa petite chainette aux reflets argentés. Edouard avec l’accord de son propriétaire, examine l’objet sous toutes ses coutures. Sous la couche d’oxydation se trouvait de l’argent pur, il n’y avait pas de doute à ce sujet.

L’homme propose à Edouard d’ouvrir la montre, et c’est ce qu’il s’apprête à faire quand « Monsieur Poilu » d’un bond, depuis le haut de l’étagère réservé aux vases et aux brocs en tout genre, s’installe sur le comptoir, le museau le plus proche possible du précieux objet.

Il faut dire que de l’extérieur cette montre ne payait pas de mine, aucune gravure ne la magnifiait, comme si elle ne voulait pas attirer l’attention du commun des mortels ou d’un éventuel pickpocket. Edouard se décide enfin à l’ouvrir, mais quel ne fut pas sa surprise lorsqu’il vit que les aiguilles indiquant l’heure étaient manquantes. Mais il fut encore plus étonné par l’autre côté, qui comportait au lieu de la traditionnelle photo de l’être aimé un ciel étoilé. Edouard a l’impression qu’en essayant de toucher une étoile, son doigt puis son corps seraient happés vers une autre dimension.

« Quelle drôle de montre, mon cher ami! » s’exclame notre brocanteur.

« Elle est à vous, je vous la donne » murmure l’homme à l’oreille d’Edouard.

« Comment ça vous me la donnez! Je ne peux pas accepter, prenez quelque chose en échange au moins » rétorqua Edouard.

L’étrange visiteur, sourit, se dirige vers une vieille lampe à huile, la prend sous son bras et repart comme il vint, sans un bruit, à part la fameuse clochette qui agace « Monsieur Poilu » au plus haut point le tirant régulièrement de sa sieste.

Edouard se trouvait bête, sa montre à gousset dans la main, son chat sur l’épaule, position idéale pour signifier qu’il était temps de remplir la gamelle . Mais le vieux brocanteur ne put s’empêcher de poser son doigt sur le ciel étoilé et comme par magie et comme il l’avait deviné il se retrouva transporté dans un autre univers.